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lola lafon

  • Normale

    Lafon La petite communiste Actes sud.jpg« STRASBOURG. Ils disent : elle n’est plus l’écolière qu’on notait d’un 10 sur son cahier de gym et qui jouait à la poupée devant la planète entière. Ils notent : elle a coupé ses couettes et rangé ses rubans, ses formes gonflent son maillot. Ils font preuve d’indulgence : la croissance est un « moment de relâche très compréhensible », elle a « attrapé » seize ans, après tout. Ils comptent : une médaille d’or à la poutre, une chute aux barres, moins de rapidité au saut même si elle a perdu cinq kilos cet été avant de venir. Ils s’émerveillent : avez-vous vu cette Portugaise qui ne pèse que vingt-neuf kilos !
    La jeune femme sera convoquée devant eux tous rassemblés dans la salle de presse, sévères. Ils attendront des larmes et des excuses, elle sourira pour les amadouer : « Heureusement que j’ai changé, à Montréal, j’avais quatorze ans. Je suis tout à fait… normale pour mon âge. »

    Lola Lafon, La petite communiste qui ne souriait jamais

  • La petite gymnaste

    Il y a presque un demi-siècle, aux Jeux Olympiques de Montréal en 1976, une petite gymnaste roumaine éblouissait le monde entier. La petite communiste qui ne souriait jamais (2014) de Lola Lafon est un roman, pas une « reconstitution historique de la vie de Nadia Comaneci », précise-t-elle dans l’avant-propos. Elle a respecté les dates, lieux et événements et « pour le reste […] choisi de remplir les silences de l’histoire et ceux de l’héroïne ».

    Lafon La petite communiste Babel.jpg

    Le roman suit le parcours de Nadia C. de 1969 à 1990. L’échange (en italiques) entre la narratrice et  la gymnaste reste « une fiction rêvée » où l’autrice a intégré quelques passages de son autobiographie (Letters to a Young Gymnast, 2011). C’était exceptionnel : à quatorze ans, la petite Roumaine, « sa queue de cheval de travers », découvrait au tableau d’affichage « ce terrible 1 sur 10 » en chiffres lumineux – un virgule zéro zéro qui signifiait un dix ! – une note inédite en gymnastique aux JO, non prévue dans le système.

    On lui ajoute trois contrôles antidopage supplémentaires. C’est un « séisme géopolitique » pour les Soviétiques qui craignent l’humiliation. « La grâce, la précision, l’amplitude des gestes, le risque et la puissance sans qu’on n’en voie rien ! » Elle est « la petite fée communiste qui ne souriait jamais », une « Lolita olympique » qui fait vieillir d’un coup ses concurrentes et récolte les médailles d’or.

    Des vidéos en ligne permettent de revoir ces incroyables performances. Lola Lafon n’avait alors que deux ans, je me suis demandé pourquoi elle avait décidé d’écrire sur ce sujet. La Roumanie des Ceausescu, elle l’a connue, elle a grandi sous le régime communiste. Comme Nadia C. qui va fuir son pays en 1989, elle se montre critique aussi envers les pays occidentaux : « La liberté des pays capitalistes, je me suis assez vite rendu compte que c’était bidon, il y avait le pouvoir du porte-monnaie, c’est tout. » (Libération, 2003)

    Je lis les récits de Lola Lafon à rebours de la chronologie. Elle a passé une  nuit au musée Anne Frank (Quand tu écouteras cette chanson), celle-ci a commencé à écrire son journal à l’âge de treize ans. Cléo est encore plus jeune quand elle entre à l’école de danse (Chavirer). Patricia Hearst a dix-neuf ans quand on l’a enlevée (Mercy, Mary, Patty). Les thématiques sont voisines, bien que les sujets soient différents : des héroïnes jeunes, le passage délicat de l’adolescence. 

    En racontant les entraînements, les régimes, la discipline imposés à Nadia C. et aux autres gymnastes entraînées par Béla et sa femme Marta à « l’école expérimentale [d’Onesti] qui formera l’élite des gymnastes socialistes », Lola Lafon décrit l’engagement physique et en même temps la volonté formidable de la petite : « Parfois, Béla craint qu’elle ne soit malade, cette pâleur silencieuse, ce regard fixe que contredit l’acharnement de ce corps minuscule à sans cesse décortiquer la difficulté de l’exercice jusqu’à sa digestion totale. Anaconda d’un risque dont on ne la nourrit jamais assez. »

    La petite communiste qui ne souriait jamais, « récit de haute voltige » (La presse), décrit dans tous ses aspects la vie d’une sportive de haut niveau, les hauts et les bas, les rivalités, le rôle des médias, les revers de la célébrité. Lola Lafon s’est appuyée sur une vaste documentation pour retracer une partie de la vie de Nadia Comaneci, au-delà même de sa retraite sportive en 1981. Ce roman montre les coulisses de ses incroyables performances et tente aussi de saisir sa personnalité, volontaire et secrète.

  • Jour 15

    mercy,mary,patty,lola lafon,roman,littérature française,patricia hearst,enquête,recherches,médias,défense,analyse,féminisme,société,rébellion,etats-unis,culture« Etes-vous lassée d’une expérience qui tourne à votre désavantage, ces débats où Violaine ne cesse d’égratigner vos tentatives de prouver le lavage de cerveau de Patricia Hearst. Etes-vous épuisée, vos cours un jour sur deux et l’écriture du rapport, êtes-vous préoccupée par la peine de prison qui attend Patricia si la défense se révèle impuissante à la disculper ou anxieuse de voir votre réputation écornée, vous qui jusque-là avez eu un parcours de rêve, le procès promet d’être extrêmement médiatique, votre échec sera public, Neveva Gene n’a pas été foutue d’écrire trois lignes pour sauver Hearst. Ce matin-là, vous accueillez Violaine et lui ouvrez grande la porte de votre chambre en désignant, soigneusement étalées sur le tapis, une mosaïque de Patricias. Dix tableaux, ces couvertures de magazine de Newsweek et de Time. Dix tentatives pour former un portrait cohérent. L’une après l’autre, l’une, brouillon de l’autre, l’autre effaçant l’une. »

    Lola Lafon, Mercy, Mary, Patty

  • Kidnappées rebelles

    Dans Mercy, Mary, Patty, Lola Lafon a choisi, comme elle excelle à le faire d’un livre à l’autre, un point de vue original pour revenir sur l’histoire de Patricia Hearst, la petite-fille d’un magnat de la presse américaine enlevée en 1974 et passée du côté des révolutionnaires qui l’avaient enlevée. Son titre est calqué sur Mercy Mary Patty, celui de l’essai de Gene Geneva, une prof américaine engagée par l’avocat de la défense au procès de Patricia Hearst ; elle y reliait le cas de « Patty » à ceux de deux autres jeunes filles disparues : Mercy Short en 1690 et Mary Jemison en 1755, qui comme elle s’étaient rebellées contre leur propre camp.

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    Patricia Hearst (Photos de presse)

    Gene Neveva (personnage fictif malgré les apparences) est le « vous » auquel s’adresse la narratrice dès la première phrase : « Vous écrivez les jeunes filles qui disparaissent. » Professeure d’université, Neveva a enseigné deux ans en France dans les Landes (« Modes de vie et culture américaine » au Collège des Dunes). En octobre 1975, elle avait mis une annonce dans deux boulangeries : elle cherchait une « étudiante très bon niveau d’anglais oral et écrit, job temps plein d’une durée de quinze jours. Adultes s’abstenir. »

    Un carton plein de coupures de presse à lire, de minicassettes à écouter, dans l’ordre chronologique, pour en faire une synthèse, voilà la tâche de la candidate sélectionnée, bien qu’elle ne sache rien de l’affaire Hearst. « Quinze jours pour trancher, qui est la vraie Patricia, une marxiste terroriste, une étudiante paumée, une authentique révolutionnaire, une pauvre petite fille riche, héritière à la dérive, … » Violette, dix-huit ans, ira travailler tous les jours chez Gene Neveva, accueillie par son chien Lenny, ou plutôt Violaine, prénom improvisé par Violette après une remarque sur son prénom qui ne lui va pas tellement.

    Chaque jour, Violaine découvre l’histoire de Patricia, enlevée à dix-neuf ans, de sa famille, de ses ravisseurs de la SLA (« Armée symbionaise de libération »). Elle prend des notes sur son travail et aussi, pour elle-même, sur Gene Neveva, sur ces journées peu ordinaires à parler anglais avec une Américaine excentrique qui ne cesse de remettre en question les réponses et réactions de son assistante, pour l’inciter à réfléchir. Auprès de Gene Neveva, Violaine qu’au lycée on surnomme « la Vierge » respire un autre air. Quand elle rentre chez ses parents, leur conformisme la frappe davantage. Eux trouvent leur fille sérieuse, peut-être pas assez décontractée, ils l’enverront dans une école de secrétariat bilingue.

    En plus de rendre compte de leurs travaux et discussions, la narratrice s’interroge aussi sur la relation entre les deux femmes : « L’avez-vous vraiment rencontrée, votre assistante, ou l’avez-vous parcourue et estimée en un clin d’œil tandis que vous dissertiez sur la liberté des femmes ? Bien sûr, en 1975, vous étiez l’adulte, sa supérieure à qui elle ne confiait pas grand-chose. J’ai pour moi l’avantage de ses notes qu’elle m’a confiées et le recul des années passées. »

    Curieuse de lire le rapport final, introuvable, de Gene Neveva, et de comprendre les tenants et aboutissants de l’affaire Hearst, la narratrice finit par reprendre des études au Smith College (Northampton, Massachussets), pour suivre les cours de celle qui défend les jeunes filles « chavirées » et la rencontrer. « Il fallait une forme polyphonique où aucune voix ne prendrait le dessus » dit Lola Lafon dans L’Obs. Elle l’a trouvée dans Mercy, Mary, Patty pour raconter, analyser les regards et les discours sur ces kidnappées rebelles et leur liberté.

  • Le même sourire

    Lafon couverture actes sud.jpg« Lara avait un jour demandé à Cléo comment juger du niveau d’une danseuse. La rapidité de ses gestes, sa souplesse, sa grâce ? Devant l’écran, elle comprit que c’était autre chose : cette capacité à ravir l’attention, toutes les attentions, par millions, dont celle de Lara. Cette capacité à donner envie d’être Cléo, agile, athlétique, précise et troublante.
    Le générique de fin défilait sur les cuisses gainées de lycra noir de Cléo, elle enlaçait une danseuse d’un blond platine, toutes deux arboraient le même sourire laqué vermillon, la même frange de faux cils. La caméra hésita un instant entre elles deux puis choisit Cléo, zoomant sur sa peau scintillante, découpant la danseuse en vignettes dorées : seins, cuisses, fuselage d’une taille prise au plus serré, Cléo en pièces détachées, offerte à la France du samedi soir. »

    Lola Lafon, Chavirer